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7 – L’intelligence artificielle, malveillante, vraiment ?

Et si l’intelligence artificielle (IA) n’était pas aussi néfaste que certains le prédisent ? Pourtant, c’est l’hypothèse économique et technique de plus en plus audible dans le débat…

L’intelligence artificielle serait une technologie tueuse d’emplois et liberticide selon des businessmen comme Bill Gates (Microsoft) ou Elon Musk (Telsa). Le scientifique Stephen Hawking a même récemment déclaré que « réussir à créer une intelligence artificielle serait le plus grand événement dans l’histoire de l’Homme. Mais ce pourrait aussi être le dernier… »

Selon l’Ifop, 65% des Français en ont peur, inquiets « face à l’autonomie croissante des machines comme les drones armés ou la voiture Google ». Par ailleurs, comme personne ne sait vraiment ce qu’est l’intelligence artificielle, ce que l’on découvre sur les réseaux sociaux et dans les œuvres de fiction peut être anxiogène. En effet, études un peu étranges et autres prévisions dans la lignée du transhumanisme prophétisent que l’IA entraînera la régénération automatique des machines qui pourront à terme s’améliorer par elles-mêmes et donc se passer de l’humain. On retrouve ainsi le mythe d’Hal, l’ordinateur de « 2001 Odyssée de l’espace », qui prend progressivement la place de l’astronaute et le contrôle du vaisseau spatial…

Là aussi, comme pour les robots, il y a du mythe, beaucoup de mythe (1). Jean-Michel Ganascia, professeur d’informatique, intelligence artificielle à l’université Paris 6, affirme lui :

« on ne peut pas parier sur une révolution technologique, on n’en sait rien, ce n’est pas parce que les processeurs seront plus rapides qu’ils seront plus intelligents. L’intelligence ce n’est pas la rapidité, c’est aussi le fait d’inventer de nouvelles notions ; c’est la capacité d’adaptation, la créativité. C’est aussi le fait de se remettre en cause et d’accoucher de quelque chose qui n’existait pas auparavant ».

Selon lui, les alertes catastrophistes de ces dernières années sont fausses,

« elles échappent à la rationalité et c’est pour ça qu’elles plaisent. Ce qui est d’autant plus intéressant, c’est que les grandes sociétés comme Google se font l’écho de ces thèses, elles sont dans une situation de pompiers pyromanes où elles se retrouvent à nous mettre en garde contre les machines qu’elles construisent et nous disent qu’elles vont mettre en place des comités d’éthique pour essayer de maîtriser les risques ! »

L’auteur de « Mythe de la singularité. Faut-il craindre l’intelligence artificielle ? » (Seuil) considère que les Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) veulent seulement développer leurs technologies et avoir le droit, contre les États, de créer leurs propres autorités pour limiter les risques. C’est d’ailleurs pour cela qu’Amazon, Google, Facebook, IBM et Microsoft se sont associés pour créer le Partenariat pour l’Intelligence Artificielle. D’autres les rejoignent, d’eBay à Intel en passant par McKinsey ou Sony, de même qu’une pléiade d’ONG et de centres de recherches. Mais l’échange d’idées et de données ne les empêche pas de se livrer une bataille économique féroce. Google vient ainsi d’annoncer avoir passé tous ses produits en intelligence artificielle pour répondre à Microsoft qui, quelques jours auparavant, avait ouvert le bal. Mais pour Eric Schmidt, le président d’Alphabet, la désormais société mère de Google, ce passage au « tout intelligence artificielle » ne menace en rien l’emploi :

« il n’y a aucune raison de penser que les progrès réalisés dans le domaine de l’apprentissage automatique entraîneront à coup sûr une hausse du chômage. L’histoire tend plutôt à montrer que les avancées technologiques mènent à une plus grande prospérité, avec la création d’emplois, la mise en place de lieux de travail plus sûrs et l’augmentation des niveaux de vie » (3).

En fait, l’idée que l’IA pourrait remplacer l’humain repose sur un malentendu : « L’IA aide l’humain, sans le remplacer, explique Charles Cuvelliez, enseignant à l’Ecole polytechnique de Bruxelles. L’IA traite des données d’un volume ingérable pour l’humain, présentera des résultats introuvables par lui seul avec ce degré de finesse. Mais c’est l’humain qui évaluera les options et décidera. Une application d’IA est donc fiable s’il y a eu suffisamment de données pour la former. C’est pourquoi l’IA n’arrive pas à simuler l’apprentissage inné des bébés, qui n’ont pas besoin de leurs parents pour se forger des représentations mentales étonnantes. » Charles Cuvelliez poursuit sa réflexion en évoquant une appli IA qui « arrive à imiter des tableaux de Rembrandt avec une précision inouïe… sauf qu’elle n’apporte rien de neuf par rapport à Rembrandt lui-même, preuve que l’IA ne remplacera pas le sens artistique et la capacité de s’évaluer, son œuvre et soi-même. L’IA ne serait-elle pas finalement une précieuse alliée du travailleur, dont le pic de productivité n’est pas forcément atteint la veille de sa retraite ? Augmentée par l’IA, sa productivité lui permettra de conserver son job plus longtemps… »

C’est aussi l’hypothèse de Julien Maldonato – en charge de l’offre de transformation digitale auprès des institutions financières au cabinet Deloitte – dans son livre blanc consacré à l’intelligence artificielle (5). Mais aussi, dans une autre mesure, par Jean-Claude Heudin, chercheur en intelligence artificielle au pôle universitaire Leonard de Vinci, à Paris-La Défense. Ce dernier prend l’exemple du marketing prédictif, « la première limite provient du fait, bien connu des statisticiens, que les corrélations ne sont pas des liens de causalité. » La seconde « est celle des algorithmes généralement utilisés dans les systèmes de recommandation. Pour simplifier, ils sont pour la plupart basés sur le principe d’association d’un client à un profil type qui émerge de l’analyse des données. L’exemple le plus connu peut être résumé par la formule ʺles clients ayant acheté ceci ont également acheté celaʺ. À l’instar des chaînes de télévision, dont le programme dépend d’un petit nombre de profils types, on obtient des solutions satisfaisantes pour ces êtres hypothétiques, mais des solutions insatisfaisantes pour les individus ».

 

http://www.zdnet.fr/actualites/6-grands-mythes-autour-de-l-intelligence-artificielle-39834156.htm

https://siecledigital.fr/2017/03/28/mythes-et-enjeux-de-lintelligence-artificielle-jean-gabriel-ganascia/

http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/02/09/non-les-avancees-technologiques-ne-menacent-pas-l-emploi_5076844_3232.html#csqmzl3wuJpGadWO.99

http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2017/05/10/l-intelligence-artificielle-n-est-pas-l-ennemie-de-l-emploi_5125196_3232.html

https://www2.deloitte.com/fr/fr/pages/services-financier/articles/pourquoi-il-ne-faut-pas-avoir-peur-de-lintelligence-artificielle.html

https://theconversation.com/intelligence-artificielle-appliquee-au-marketing-predictif-mythes-et-limites-53987

Mis à jour le 10 juillet 2018 • Publié le 10 juillet 2018

Mis à jour le 09 juillet 2018 • Publié le 09 juillet 2018

Mis à jour le 25 janvier 2018 • Publié le 25 janvier 2018