Société
Apprentissage : quels sont les points forts du système allemand ?
La description rigoureuse des systèmes d’apprentissage en France et en Allemagne tourne sur quasiment tous les points à l’avantage des Allemands. Le rapport de Bertrand Martinot décortique les raisons de l’efficacité allemande et les enseignements à en tirer.
Publié le 18/05/2015 • Mis à jour le 24/03/2022
Les comparaisons en matière de formation et d’apprentissage entre la France et l’Allemagne sont toujours sujettes à caution et les données rarement uniformisées. Bertrand Martinot a quand même essayé de se livrer à l’exercice pour tenter de comprendre le succès phénoménal de l’apprentissage en Allemagne, le relatif échec en France et les enseignements que l’on pouvait en tirer (cf. référence ci-dessous). D’abord le constat : « quels que soient les indicateurs utilisés, l’Allemagne surclasse nettement la France pour l’insertion des jeunes sur le marché du travail. Ainsi, le chômage des jeunes est largement inférieur en Allemagne. Le taux d’emploi y est également plus fort. Même si l’écart est beaucoup plus faible, la proportion des jeunes sans emploi, ni en scolarité ni en formation (NEET) y est inférieure, ce qui tend à prouver que non seulement le système allemand procure davantage de travail aux jeunes mais encore qu’il « rattrape » par son système de formation initiale une plus grande proportion de ceux qui peinent à accéder à l’emploi ». Et il en conclut que « la différence essentielle… est que les jeunes de qualifications intermédiaires réussissent bien mieux en Allemagne qu’en France. »
Ensuite, les statistiques montrent que « contrairement à une idée reçue, la France ne néglige pas quantitativement la voie professionnelle dans l’enseignement secondaire par rapport à l’Allemagne… mais que l’Allemagne se distingue par le poids tout particulier de l’apprentissage aussi bien en proportion de la population de jeunes qu’au sein de la filière professionnelle du secondaire (environ trois fois plus élevé dans les deux cas) ».
En plus le nombre d’apprentis est d’une stabilité remarquable en Allemagne : entre 1,5 et 1,7 millions depuis la fin des années 1990 quelle que soit la conjoncture. Pour bien comprendre son poids, il faut savoir que la proportion de jeunes passant par l’apprentissage au cours de leur formation est de 57.7% Allemagne contre 26% en France.
Les différences sont encore plus marquantes sur d’autres comparaisons : le niveau de qualification préparé par les apprentis est bien plus élevé en Allemagne qu’en France. Dans le premier pays il est essentiellement centré sur le niveau du Bac pro, dans le second beaucoup plus vers le CAP (et maintenant dans l’enseignement supérieur, une pratique quasi inexistante en Allemagne) . Ensuite l’âge d’entrée en apprentissage est sensiblement plus bas en France qu’en Allemagne les élèves attendent la sortie du premier cycle vers 16 ans.
Enfin en Allemagne, la durée de l’apprentissage de droit commun est de trois ans car « les entreprises peuvent de cette manière rentabiliser leur investissement dans ces jeunes et ces derniers sortent du système avec une forte expérience du monde de l’entreprise ». En France les contrats sont de plus en plus courts mais les apprentis français sont en moyenne mieux rémunérés, avec une rémunération nette moyenne de l’ordre de 600 à 650 euros.
Mais la différence est aussi culturelle. Bertrand Martinot montre qu’il existe deux représentations sociales opposées de l’apprentissage : en Allemagne il s’agit d’une voie « normale » d’accès à l’emploi aux premiers niveaux de qualification en Allemagne, en France d’un outil de remédiation à l’échec scolaire. En Allemagne, l’apprentissage « est une voie incontournable pour l’accès à la plupart des métiers d’employés et d’ouvriers qualifiés et c’est une voie sélective (âge élevé à l’entrée, diplôme à l’entrée), exigeante aussi bien pour l’apprenti que pour l’entreprise d’accueil (longue durée des contrats) ».
L’apprentissage en Allemagne est considéré comme le mode d’accès quasi-exclusif aux emplois de qualification moyenne (mais pas supérieure) qui garantissent des débouchés professionnels satisfaisants et des perspectives de progression ultérieure dans des entreprises dynamiques, ce qui peut expliquer sa forte valorisation sociale. En France il est depuis toujours davantage considéré comme un outil de la politique de l’emploi susceptible d’insérer les jeunes en échec scolaire que comme la voie normale d’un enseignement professionnel secondaire sélectif et de qualité
Cela explique vraisemblablement la meilleure efficacité du système allemand. Le système est tellement valorisé que les jeunes allemands font leurs premiers choix dès 11-12 ans alors que les jeunes français attendent la fin du collège unique, à 15 ans. Bertrand Martinot décrit ensuite longuement le système d’écoles allemandes à partir de 12 ans, qui a, selon lui, le mérite d’être très clair, mieux structuré et beaucoup plus décentralisée avec un système de financement relativement simple. La description tourne presque toujours à l’avantage de l’Allemagne, sauf sur la question des élèves en échec scolaire ou aucun des deux pays n’a trouvé de réponse satisfaisante
Quant aux propositions de Bertrand Martinot, beaucoup sont d’ordre de la gouvernance et de l’organisation du système en France. Une essentielle néanmoins va être débattue : «faire de l’apprentissage la voie de droit commun de la préparation à la plupart des diplômes de l’enseignement professionnel secondaire» en « basculant la majeure partie de l’enseignement secondaire professionnel scolaire vers l’apprentissage ». L’apprentissage étant déjà très développé au niveau des CAP, explique-t-il, c’est à présent sur le niveau du bac pro que l’effort doit être porté. Au total, si l’on se fixe l’objectif d’une proportion d’apprentis de 75 % des élèves en second cycle professionnel (contre 87,5 % en Allemagne), cela permettrait de compter 450 000 apprentis supplémentaires à terme. Ce basculement aurait des incidences budgétaires dont il conviendra de tirer toutes les conséquences dans la mesure où une formation réalisée en apprentissage a en moyenne un coût moins élevé pour les finances publiques (un peu plus de 8 300 € par an aujourd’hui contre un coût complet de 11 960 €. Une économie annuelle de l’ordre de 1,6 Mde pour les finances publiques, sans compter les économies résultant des synergies découlant du pilotage conjoint de l’apprentissage et des lycées professionnels par les régions.
Jean Pierre Gonguet
Apprentissage : un vaccin contre le chômage des jeunes. Rapport de Bertrand Martinot pour l’institut Montaigne. Téléchargeable sur le site http://www.institutmontaigne.org/fr