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Marché du travail

C’est mieux de réformer avant la crise qu’après

Les pays européens qui ont réformé leur marché du travail avant la crise de 2008 s’en tirent mieux en matière d’emploi que ceux qui ont agi après sous la contrainte de la Commission Européenne et des marchés. C’est la conclusion essentielle du volumineux rapport du Conseil d’Orientation de l’Emploi sur dix pays européens.

Si la crise de 2008 a eu un effet majeur sur les marchés du travail européens, la plupart des dysfonctionnements étaient déjà visibles avant. La grande récession de 2008 est intervenue dans un contexte de mutation accélérée des marchés du travail européens et a plus eu un rôle d’amplificateur que de déclencheur. C’est en partant de cette idée que le Conseil d’Orientation de l’Emploi a analysé les réformes du marché du travail dans 10 pays européens entre 2007 et 2014 : Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne, Italie, Irlande, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni et Suède. Le rapport est volumineux mais extrêmement clair.

Deux constats globaux. D’abord, l’amélioration générale de la situation des marchés du travail masque en fait des trajectoires différentes. Certains pays sont revenus peu ou prou à la situation d’avant crise (Allemagne, Royaume-Uni ou Suède), d’autres restent dans une situation durablement dégradée (Espagne, Italie ou Portugal) et une troisième partie est dans une situation intermédiaire (Autriche, Danemark, Irlande et Pays-Bas). Ensuite, il y a des enjeux communs à presque tous les pays (chômage des jeunes et progression du chômage de longue durée) mais aussi des questions spécifiques : le temps partiel subi a explosé dans plusieurs pays (Espagne, Irlande, Italie), certaines formes d’emplois atypiques dans (les mini jobs en Allemagne, les « Zero hour contracts » au Royaume-Uni, les « recibos verdes » au Portugal ou les « para subordini » en Italie) et globalement le taux d’activité évolue désormais différemment selon les pays.

Les réformes du marché du travail ont accéléré depuis la crise, particulièrement en Europe du Sud. Ceux qui ont moins effectué de réformes de l’assurance chômage ou du marché du travail sont les pays qui, l’Allemagne en est le meilleur exemple, les avaient réalisées avant la crise. Ce qui veut également que les réformes effectués depuis 2008 l’ont en général été sous la pression extérieure en contrepartie d’aides financières ou sous la pression des marchés. La Grèce en est là le meilleur exemple, mais aussi l’Irlande, l’Espagne ou le Portugal. Peu ou pas de dialogue social en échange de « paquets » de mesures assez uniformes.

Le COE note en effet que « la tendance générale est  à l’assouplissement du droit concernant les contrats de travail » et que cette tendance est « marquée pour les emplois permanents, moins nette pour les emplois temporaires ou atypiques ». En d’autres termes les réformes ont été d’autant plus amples que le degré de protection de l’emploi était élevé, comme en Italie, en Espagne et au Portugal. Espagne, Pays-Bas, Portugal ont ainsi réformé les motifs du licenciement, Espagne, Portugal, Royaume-Uni ont revu les procédure de licenciement et la compensation du licenciement ( avec une tendance à la baisse des indemnités légales de rupture comme au Portugal, en Espagne et aux Pays-Bas).  Les possibilités de réintégration ont été de plus limitées (Espagne, Italie) et un recours plus grand à la conciliation a été privilégié (Royaume-Uni et Italie). Le CDD en revanche a souvent été mieux encadré (Espagne, Pays-Bas, Suède, Italie).

Le deuxième constat du COE est que cette révision des législations s’est accompagnée d’une décentralisation de la négociation collective. Il y a eu assez globalement une révision de la hiérarchie des normes avec la possibilité, pour les accords de niveau inférieur, de déroger aux accords de niveau supérieur, voire à la loi, ou la faculté pour les employeurs de ne pas appliquer les clauses des conventions collectives (Portugal, Espagne, Irlande, Italie). L’Espagne et l’Italie ont également limité  dans le temps la durée des accords, l’Italie et le Portugal ont restreint les possibilités d’extension des accords de branche (Espagne, Portugal), et l’Italie a réformé la représentativité syndicale et les conditions de validité des accords (Italie). A cela s’ajoute le fait que la période 2009-2014 s’est traduite par un ralentissement significatif de la croissance des salaires réels avec le gel ou la baisse du salaire minimum légal (Portugal, Irlande), le plafonnement de revalorisations conventionnelles (Italie, Espagne, Danemark) et l’allègement des charges sociales et fiscales pesant sur le travail (Italie, Suède, Espagne). Les régimes d’assurance chômage ont suivi : « Alors que dans la première phase de la crise les dispositifs d’assurance chômage ont été mobilisés dans une logique contracyclique, écrit le COE,  ils ont le plus souvent été réformés par la suite pour accélérer le retour à l’emploi : baisse du taux de remplacement et introduction ou renforcement de la dégressivité (Suède, Espagne, Portugal, Italie), baisse de la durée d’indemnisation (Suède, Danemark, Portugal, Irlande, Pays-Bas) et renforcement du contrôle de la recherche d’emploi (Portugal, Espagne, Italie, Pays-Bas). A l’inverse, là où il ne couvrait qu’une faible partie des salariés, le champ de l’indemnisation a parfois été étendu, soit en jouant sur la durée minimale d’affiliation (Portugal, Italie), soit en ouvrant l’assurance à certains non-salariés (Italie, Portugal). »

Les effets de tout cela ? Le COE a, il le dit, du mal à se prononcer car, d’une part, la plupart des réformes sont trop récentes pour avoir porté éventuellement leurs fruits et, d’autre part, beaucoup dans le retour à une certaine croissance dépend de la démographie des pays concernés. Néanmoins le COE estime, en s’entourant de toutes les précautions nécessaires, que « les pays qui avaient, dès avant la crise, corrigé des déséquilibres structurels sur le marché du travail et activé leurs politiques de l’emploi ont été moins touchés et se rétablissent plus facilement : c’est le cas de l’Allemagne, du Royaume-Uni, de l’Autriche, du Danemark et de la Suède. A l’inverse, les pays, qui n’ont pu, faute de réformes adaptées ou suffisantes, résoudre avant le déclenchement de la crise les principales faiblesses du marché du travail (…) ont enregistré une dégradation à la fois plus forte et plus durable de la situation de l’emploi. La baisse du taux de chômage a été plus tardive, et cela, indépendamment du niveau observé en entrée de crise. Dans ces pays (Irlande, Espagne, Italie, Portugal), qui sont aussi ceux dans lesquels les réformes, les plus récentes ont été les plus poussées, l’amélioration de la situation de l’emploi tient d’abord au retour de la croissance. Elle tient également pour partie aux premiers effets de ces réformes, sans qu’il soit possible à ce stade d’isoler leur impact propre »

Jean Pierre Gonguet

Mis à jour le 27 juin 2022 • Publié le 27 juin 2022

Mis à jour le 31 mars 2022 • Publié le 31 mars 2022