Marché du travail
Et s’il fallait prendre son temps pour recruter ?
Attirer les candidats en travaillant sur les valeurs de l’entreprise et les contenus délivrés sur les réseaux sociaux, c’est l’idée nouvelle de l’inbound recruiting. Le rapport au travail des générations montantes et les difficultés des entreprises pour les recruter, surtout dans les métiers en tension, imposent, selon Guillaume Vigneron, de trouver un paradigme différent de celui des GAFA.
Publié le 04/07/2018 • Mis à jour le 09/07/2018
La promesse du numérique est, en matière de recrutement, claire : en simplifiant à l’extrême l’appariement offre/demande d’emploi, et en analysant le plus finement possible les profils des candidats, elle donne aux entreprises la possibilité de trouver le plus rapidement possible le talent souhaité. Avantage essentiel face à la concurrence dans les métiers en tension, qu’ils relèvent de la chaudronnerie ou du codage. L’entreprise, avec les meilleurs algorithmes d’Indeed, de LinkedIn, de Google ou de Facebook, est supposée attirer les meilleurs et ne jamais connaître le problème de l’offre non satisfaite. Sauf que… rien n’est sûr. Le recrutement est peut-être une affaire plus complexe, plus affective, plus lente et plus longue que ce que promettent les GAFA et les grands du numérique. « Pendant longtemps les recruteurs ont eu la maîtrise totale du processus d’embauche, explique Guillaume Vigneron, fondateur de La Super Agence. Mais ce n’est plus le cas. Aujourd’hui la relation va dans les deux sens, les candidats pouvant en savoir sur l’entreprise autant qu’elle en sait sur eux. Et, même, souvent plus ! La nouveauté du numérique est que 7 candidats sur 10 ne postulent pas auprès d’une entreprise qui n’a pas une bonne réputation sur Internet ».
L’attractivité au cœur du recrutement
Autrement dit, une entreprise qui ne donne pas envie de travailler chez elle aura beau avoir les meilleures applis de recrutement, elle n’arrivera pas à débaucher le talent qu’elle convoite. Avoir la confiance du candidat n’est pas évident, l’amener à postuler chez soi l’est encore moins. Quant à le débaucher lorsqu’il est déjà en poste ou free-lance, cela relève de la gageure. L’inbound recruiting, la tendance du recrutement en train de germer, est la réponse possible à la question. Inbound recruiting est difficilement traduisible : « recrutement par attractivité » serait le plus juste, mais, en tout cas « l’inbound recruiting, c’est avant tout du recrutement lent, affirme Guillaume Vigneron. La démarche est empirique. Elle est née de découvertes sur le terrain ; depuis les années 2009-2010, les entreprises de la Silicon Valley se sont aperçues que leurs blogs, ou les blogs de ceux qui travaillaient chez eux, généraient des communautés fortes où elles repéraient souvent des talents dont elles auraient un jour besoin et dont, surtout, elles n’avaient pas les CV. Dans le même temps, d’autres d’entreprises ont, quant à elles, pris conscience que les techniques de l’inbound marketing, ce marketing où l’on attire des clients non pas avec des produits à vendre mais avec des contenus pas forcément liés à la vente, plus culturels ou sociétaux, attiraient des flux de candidats. Ceux qui aimaient les contenus aimaient ensuite l’entreprise et, finalement, longtemps après souvent, souhaitaient y travailler. Les directions du marketing se sont vite retrouvées avec des CV dont ils ne savaient pas quoi faire, qu’ils ont passé aux RH qui, eux, ont découvert un vivier tout neuf. De ces deux découvertes de terrain parallèles, on a tiré les idées de l’inbound recruiting ».
Associer vivier RH et techniques marketing
La technique de l’inbound marketing est d’identifier une cible, d’essayer de comprendre son environnement et ses motivations, puis de produire du contenu et de le renouveler sans cesse pour intéresser cette cible à l’entreprise. Puis, après, à ses produits. L’inbound recruiting, c’est la même chose. Sauf que l’entreprise ne parle pas à des contacts commerciaux ou clients potentiels, mais des candidats potentiels. C’est sur cette idée – associer le sourcing RH et les techniques du marketing – qu’est née La Super Agence fin 2016. « J’ai commencé à évangéliser, se rappelle Guillaume Vigneron, et j’ai constaté immédiatement une grosse demande des entreprises. Pour elles, la concurrence est féroce. Elle ne joue même plus entre les entreprises de même nature, mais entre toutes : pour certains métiers en tension, une grande banque se retrouve en concurrence avec une start-up du Sentier, et vue l’image des start-up, elle est trop souvent perdante pour attirer les jeunes. Du coup, elles essaient d’être de plus en plus rapides et leurs coûts de recrutement, surtout depuis que les GAFA s’y sont mis, explosent. Je pense qu’avec les nouvelles techniques, les coûts des recrutements numériques augmentent de 20 à 30% chaque année. Et cela va tellement vite qu’on ne prend même en plus en considération le temps de réflexion du candidat. Et on rate ! À La Super Agence nous visons les candidats passifs, ceux qui sont déjà en poste ou en free-lance, et nous travaillons sur le lien de confiance avec l’entreprise, en attendant qu’ils se décident à faire le pas. C’est parti du constat que, selon les enquêtes de LinkedIn, 79% des candidats potentiels sont en recherche passive et 59% se définissent comme « à l ’écoute du marché ». Ils ne consultent pas forcément les offres d’emploi mais s’intéressent à l’actualité du secteur, aux idées et aux contenus de qualité. Plus ils en auront, plus ils auront envie de passer de l’état de candidat passif à celui de candidat actif. Cela, c’est un changement de paradigme par rapport aux GAFA et aux autres qui se comportent comme des job boards. Une appli comme Google Hire va un peu dans le sens du recrutement lent, mais c’est bien la seule. Indeed, le n°1 mondial, ne travaille que sur l’offre d’emploi. Pas nous. Nous sommes sur le contenu, et sur les réseaux sociaux nous envoyons du contenu, une problématique ».
Une approche par l’intelligence et l’affectif
Ainsi, lorsqu’AXA a souhaité recruter des agents commerciaux indépendants, La Super Agence a créé un blog sur l’entrepreneuriat. L’idée d’entreprendre était celle qui concernait le plus le public visé. « Nous ne parlons pas d’AXA dans le blog, nous ne proclamons rien, ne disons jamais qu’AXA c’est bien et que c’est idéal d’y travailler. En revanche on parle d’un sujet qui les concerne, et ainsi, on démontre qu’AXA est accueillante et correspond à leurs valeurs ». L’inbound recruiting ce n’est pas du matraquage, c’est une approche par l’intelligence, par l’affectif. « L’entreprise doit être son propre média, c’est aux autres, à ceux de la communauté que l’on crée, de parler d’elle et de parler pour elle. De manière générale, nous évitons les discours de communication, car la « com » ne se remet jamais en cause et cherche à tout maîtriser. À l’inverse, nous leur disons de lâcher les rênes pour faire naître la confiance. »
L’inbound recruiting démarre en France et ce n’est pas toujours facile, le monde des ressources humaines étant assez « risquophobe », contrairement à celui du marketing qui, par nature, s’adapte constamment à la demande. Mais toutes les enquêtes sur les générations montantes le montrent : les jeunes ont de plus en plus envie d’un travail avec du sens dans des entreprises qu’ils aiment. Le pari de l’inbound recruiting est que les entreprises avec des métiers en tension, les entreprises à fort potentiel de recrutement, les entreprises à fort turnover comme les agences de recrutement ou les chasseurs de têtes ont tout intérêt à prendre leur temps pour se constituer des viviers de candidats.
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