Société
Femmes et seniors dans les Quartiers Prioritaires de la Ville : des talents à pourvoir dans le numérique
Selon l’indice QPV et numérique, créé par Diversidays, Occurrence et Pôle emploi, les femmes des quartiers défavorisés sont 5 fois moins amenées que les hommes à rechercher un emploi dans les métiers du numérique. Le phénomène est similaire pour les plus de 50 ans. Pourtant, face à la pénurie de talents dans le numérique, les opportunités sont réelles. Rencontre avec Anthony Babkine, co-fondateur des Diversidays.
Publié le 23/01/2020 • Mis à jour le 17/03/2022
Selon les chiffres publiés par Diversidays et Pôle emploi en septembre dernier, 6,1 % des offres d’emploi relèvent du secteur numérique en France. Ce chiffre est-il amené à augmenter ?
D’ici 2020 – et donc d’ici demain -, le numérique représentera 190 000 emplois. C’est ce qui revient dans tous les indicateurs. Selon Emmaüs, 75 % des offres d’emploi demandent des compétences numériques. Le numérique est en effet partout. Ce que demandent les recruteurs aujourd’hui, c’est la double compétence : un socle de compétences sectorielles associé à des compétences numériques. Et demain, ces chiffres vont encore augmenter. Avec l’intelligence artificielle, notamment, des métiers disparaîtront, d’autres devront se réinventer…
L’indice Quartiers Prioritaires de la Ville (QPV) et numérique met en évidence des inégalités très importantes liées au genre et à l’âge dans les QPV. Ce chiffre est à mettre en regard de la pénurie de talents. Qu’est-ce qui, selon vous, est à l’origine de ce hiatus ?
La CCI de Toulouse, par exemple, a déclaré que 85% des patrons d’entreprises disent être en difficulté pour trouver des gens qui puissent les aider à se transformer vers l’ère numérique. Face à ces besoins, force est de constater que nous manquons de talents et cela fait monter les enchères. D’autant que les entreprises, aujourd’hui, se retrouvent dans une espèce de marathon pour répondre à la fois à un enjeu commercial et de transformation numérique. Beaucoup d’entre elles ne sont pas encore matures, et elles préfèrent se rassurer en recrutant des profils très techniques, donc un grand nombre viennent d’écoles d’ingénieurs.
Dans les métiers du numérique, le recrutement y est beaucoup moins diversifié que dans les autres secteurs. Un homme jeune, grand diplômé, voilà le profil type. C’est ce qui correspond à ce que les entreprises pensent être leurs besoins mais c’est aussi parce qu’elles trouvent, en face, ce genre de profil.
Côté quartiers prioritaires de la ville, le numérique n’est pas forcément perçu comme une opportunité, surtout pour les femmes et les seniors.
Il y a donc un enjeu énorme : comment casser les barrières entre ceux qui se disent « ce n’est pas fait pour moi » et ceux qui se retrouvent dans l’urgence pour recruter.
Existe-t-il un vivier de talents dans les QPV ?
On peut y citer 1001 exemples de gens formés au numérique. Il existe une appétence très forte sur les jeunes hommes et si l’on reste sur le profil masculin, la moyenne est au-dessus de celle du national. Mais les femmes sont 5 fois moins nombreuses à aller vers ce type de métier. Et si l’on parle d’âge ou de handicap, la moyenne est exceptionnellement basse. Plus on est âgé, moins on y va. 76 % des Français déclarent que s’ils avaient 18 ans, ils se formeraient au numérique et considèrent donc que c’est l’affaire des jeunes. C’est une forme d’autocensure. Pourtant, je le redis et j’en suis convaincu, tout un tas d’opportunités s’ouvrent à des profils qui pensaient être mis sur le côté. Le numérique peut casser les barrières à l’emploi.
« Il faut faire comprendre aux talents de la diversité que le numérique représente des débouchés et des opportunités, et qu’il n’est pas inaccessible. »
Comment peut-on y remédier ?
Cela prendra du temps car casser les barrières passe par le « faire savoir », la pédagogie, la proximité, la formation… un travail qui doit s’opérer de manière constante. Si le numérique est présenté sous l’angle technique seul, c’est une erreur, car cela peut faire peur.
D’un côté, il faut faire comprendre aux talents de la diversité que le numérique représente des débouchés et des opportunités, et qu’il n’est pas inaccessible. En France, 750 écoles labellisées « Grande École numérique » proposent des formations même sans le bac, sans barrière d’âge, et qui proposent, en outre, des formations très courtes, de 7 à 8 mois pour les développeurs, par exemple.
C’est un enjeu national. La pression se porte notamment sur les instances gouvernementales, les écoles, les conseillers d’orientation, les régions… il faut former de futures pousses pour nourrir le secteur. Il y a de la pédagogie à faire, de nouveaux codes à faire passer et il faut booster les passerelles. Les grandes entreprises, les start-up, ont également un rôle à jouer pour faire connaître ces métiers-là.
Quelles sont les actions que vous menez dans ce sens ?
Nous œuvrons pour donner envie d’oser, pour faire émerger des “rôles modèles” inspirants, créer des programmes d’accélération où les acteurs de la Tech et des talents de tout le territoire sont impliqués. Ce dernier levier nous anime tout particulièrement au quotidien, c’est pourquoi nous avons décidé de créer un mouvement national en faveur de l’émergence des talents de la diversité dans le numérique. L’association fête sa première bougie, la suite reste encore à écrire. Mais les signaux sont positifs : la finale des Diversidays a accueilli des centaines de personnes et 55 000 nous ont suivi en live. La Tribune a consacré un dossier spécial sur le numérique et la diversité.
Je voudrais souligner l’intérêt pour nous de travailler avec Pôle emploi. Cela nous permet de nous rapprocher de ces publics souvent sous-estimés qui ne cochent pas toutes les cases. Nous, ce qu’on aime, c’est transformer un diamant brut en pépite. Et, si l’on veut que la France devienne une championne de la Tech, il y a un gros travail de terrain à faire pour aller chercher tous les potentiels. Il faut être encore plus ambitieux. Rien n’est gagné, beaucoup de changements sont encore à mener. Disons que nous en sommes à la première marche, alors qu’il en reste 100 à monter…
S.B.
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