Innovation
« Il est vital que chacun maitrise les règles du jeu du marché du travail en ligne et des réseaux sociaux »
Internet et le marché du travail, un phénomène en pleine explosion jamais analysé. Le point de vue de Marie-Claire Carrère-Gée, présidente du Conseil d'Orientation pour l'Emploi.
Publié le 24/03/2015 • Mis à jour le 31/03/2022
Emploiparlonsnet. Le Conseil d’Orientation de l’Emploi que vous dirigez a étudié l’impact d’Internet sur le marché du travail. Pourquoi ce travail ?
Marie-Claire Carrère-Gée. Nous nous sommes rendu compte qu’une révolution silencieuse était à l’œuvre et que personne n’en parlait. Bien sûr, épisodiquement, dans les medias une offre d’emploi un peu baroque passe à travers les mailles du filet et on s’inquiète de ce nouveau marché du travail en ligne. Mais, en fait, il n’a pas été véritablement analysé. Les questions sont simples : est-ce qu’il change vraiment le marché du travail ? En améliore le fonctionnement? Est-il bon pour les demandeurs d’emplois ? Ces derniers sont-ils même vraiment familiers avec ce marché et suffisamment outillés pour y avoir toutes leurs chances ? Le phénomène en train d’exploser, 80% des demandeurs cherchent un emploi sur Internet, et ces questions n’ont toujours de réponse satisfaisante. Le marché du travail n’est bien sûr pas le premier à être transformé par le numérique, mais il est plus délicat que les autres : on y parle de personnes, pas de locations d’appartements ou de partage de voitures. Il est donc essentiel d’en connaitre l’impact.
EPN. Internet a-t-il vraiment changé la nature du marché du travail ?
MCCG. Je vois trois tendances fortes. D’abord, et c’est plutôt positif, le volume de l’information disponible explose. Pour les offres comme pour les demandes. Ensuite l’accès à l’information s’est considérablement simplifié ; les offres sont disponibles 24 heures sur 24, tout le monde y a accès et les réponses peuvent être immédiates. Enfin, troisième tendance, le marché du travail s’élargit. La notion de candidat s’est ainsi beaucoup élargie. Les millions d’actifs en poste de Viadeo et Linkedin sont également sur ce marché et les possibilités de « chasse » pour les entreprises sont désormais plus nombreuses. Elles ont un accès possible immédiat aux demandeurs d’emplois mais aussi aux actifs en poste. Tout cela améliore le fonctionnement du marché du travail. Le numérique accélère les mouvements sur un marché qui devient plus lisible avec des offres plus précises. Le «matching» se fait mieux et a priori c’est bien pour tout le monde. Les salariés, les demandeurs d’emploi et les entreprises, tout le monde a les moyens d’être au bon endroit au bon moment
EPN. Pour autant, l’offre est-elle toujours fiable et contrôlée sur ce marché ?
MCCG. Cela a été notre deuxième sujet. Il y a des actions à mener, un gros besoin de régulation. La fracture numérique est ainsi encore un vrai sujet. Je parle de l’accès évidemment mais je veux surtout insister sur l’information et l’outillage des personnes. Prenez l’exemple des grandes entreprises qui automatisent les premières sélections de candidats avec des logiciels de tri automatisés. Le COE demande qu’elles soient plus transparentes sur le sujet et fassent savoir aux candidats qu’un logiciel choisit en fonction de mots clés. Cela ne sert à rien d’être le plus compétent et le plus adapté au poste, si votre candidature n’a pas les mots clés, vous ne rencontrerez jamais le DRH. J’ajoute que cela risque d’aggraver, pour les entreprises, un certain conformisme des recrutements. Je prends cet exemple pour montrer que les candidats doivent savoir comment le marché fonctionne et se familiariser avec les nouvelles règles. De nouvelles inégalités sont en train de germer : il existe des gens loin de l’emploi et loin d’Internet, d’autres près de l’emploi mais loin d’Internet, d’autres encore parfaitement familiers de l’Internet mais avec d’énormes problèmes d’accès au marché du travail, ou à l’inverse des gens très proches de l’emploi mais qui ne savent pas se mettre en valeur sur Internet… tous les cas de figures existent.
Pour en savoir plus : 97 % des offres d’emploi aboutissent réellement
Une enquête de Pôle emploi montre que si la pénurie de main d’œuvre ou son inadéquation varient selon les secteurs industriels et la taille des établissements, seuls 3 % des offres ne trouvent pas preneurs.
Une bonne utilisation des réseaux sociaux est essentielle !
EPN. Et les demandeurs ont besoin d’être aiguillés, aidés, formés pour s’en sortir sur les réseaux sociaux et les sites d’offres ?
MCGG. Evidemment. Le réseau social a toujours existé mais le fait de s’afficher sur Internet, de se mettre en valeur, de cultiver son profil, cela ne tombe pas sous le sens. Beaucoup de gens ne sont pas habitués à exposer leurs relations et sont même réticents à ces modes de fonctionnement. C’est pourtant essentiel de bien comprendre et de bien utiliser ces réseaux. Et aussi d’être prudent lorsque l’on diffuse des informations personnelles. Lorsqu’une information négative concernant quelqu’un circule sur Internet, c’est comme le sparadrap du capitaine Haddock, on a du mal à s’en débarrasser. Même les salariés en poste, doivent s’y mettre. Ils n’ont peut-être pas envie de changer mais ils peuvent un jour perdre leur job. Et, s’ils ne sont pas sur les réseaux depuis longtemps, c’est moins bien. Ce travail d’information et de maitrise des techniques de l’offre et de la candidature en ligne, Pole emploi peut le faire avec les demandeurs d’emploi. Les entreprises et la formation professionnelle devraient le faire pour les actifs en poste, car cela relève de la gestion des parcours professionnels
EPN. De plus en plus de start-ups, de sociétés de conseils apparaissent sur le net pour aider et conseiller les demandeurs comme les entreprises. De plus en plus se font payer et un nouveau marché apparait. Est-il assez régulé ?
MCCG. Je ne trouve pas choquant du tout que des services payants existent sur Internet pour aider ou coacher. Le service premium payant pour apprendre à bien se présenter ce n’est pas choquant, c’est du coaching et cela a toujours existé, le numérique n’a rien inventé. Si le service public de l’emploi le fait bien et gratuitement de son côté, cela nous va. En revanche il est choquant de faire payer pour qu’une candidature soit présentée en premier aux entreprises. Là il y a un problème de transparence et d’éthique car les entreprises ne sont pas forcément au courant qu’on leur présente d’abord les candidats qui paient, pas forcément les plus adaptés au poste. Cela, ce n’est pas possible.
POUR EN SAVOIR PLUS : Les réseaux sociaux professionnels
Souvent utilisés pour faire des rencontres ou retrouver des connaissances perdues de vue, les réseaux sociaux connaissent un engouement auprès d’un public très hétéroclite (étudiants, jeunes, retraités, cadres, …). Moyen de communication très prisé pour se faire connaître et développer son réseau de relations, ils sont de plus en plus utilisés dans un but professionnel : contacter des recruteurs, se faire recommander, trouver un emploi… Qu’est-ce que les réseaux sociaux professionnels ? A quoi servent-ils ?
Internet et le numérique, une chance pour Pôle emploi !
EPN. Votre rapport concerne essentiellement l’adaptation de Pôle emploi à ce marché. Comment peut-elle se faire ? Doit-elle s’accélérer ?
MCCG. Pôle emploi a amorcé ce virage stratégique et c’est très bien. Je pense qu’Internet et le numérique sont une chance pour le service public de l’emploi. Bien sûr, il y a encore des choses à améliorer : plus tôt Pôle emploi se mettra en situation de diffuser le maximum de ses offres à l’extérieur, notamment les offres qui sont difficiles à pourvoir, mieux ce sera. Idem avec le Rome : sur le web on se sert pour l’instant encore que de la partie métiers, pas de celle sur les compétences. Mais tout cela évolue et va évoluer. Si Pôle emploi améliore encore ses coopérations pour profiter le plus possible des innovations, c’est parfait. Mais surtout, il faut sortir d’un raisonnement purement concurrentiel. Pôle emploi n’est pas en concurrence avec des sociétés du numérique qui se seraient réveillées un matin en se disant : « tiens, je vais aller prendre le marché du travail de Pôle emploi ». Il faut raisonner différemment : le but de Pôle emploi n’est pas d’avoir le monopole des offres. Cela ne l’a jamais été, cela ne le sera jamais. Le but de Pôle emploi est de tout mettre tout en place pour que les demandeurs d’emploi trouvent du travail, donc de fournir un accompagnement de qualité à des gens très différents et en mettant à leur disposition des offres de qualité qui leur correspondent. C’est cela son job. Si quelqu’un trouve un emploi via un job board, Facebook ou Linkedin parce ce que Pôle emploi l’a préparé à consulter les offres en ligne et travailler les réseaux sociaux, c’est parfait. Globalement si l’accompagnement est de qualité, le marché en ligne est, pour les demandeurs d’emploi une très bonne nouvelle.
Propos recueillis par Jean Pierre Gonguet
POUR EN SAVOIR PLUS : Dans les coulisses des 4 millions
d’offres d’emploi publiées sur pole-emploi.fr en 2014
Pôle emploi, c’est près de 4 millions d’offres d’emploi disponibles par an, un chiffre que nous cherchons chaque jour à améliorer. Pour veiller à la qualité de ces offres, nous avons mis en place des contrôles permettant de vérifier leur conformité avant leur publication.