Marché du travail
La nouvelle géographie de l’emploi – Le débat Emploi Parlons Net
Le 15 novembre dernier, la Direction Auvergne-Rhône-Alpes de Pôle emploi accueillait le deuxième débat Emploi Parlons Net autour de la question de "La nouvelle géographie de l’emploi". Organisé à Lyon en partenariat avec Alternatives Économiques et animé par le journaliste Vincent Grimault, cet événement apportait un éclairage sur la dynamique géographique de la création d’emploi d’aujourd’hui et de demain. Éléments de réponse…
Publié le 23/11/2017 • Mis à jour le 17/03/2022
Les métropoles concentrent-elles toute la création d’emploi aujourd’hui ?
Cette question agite la sphère de la géographie économique depuis quelques années. Géographes, économistes et représentants politiques locaux s’accordent sur un point : il existe un fait métropolitain en lien avec la création de richesses et d’emploi. Pour autant, leur analyse diffère quant à ses causes et à l’ampleur du phénomène.
La définition même de la métropole est au cœur de la question selon l’économiste de l’Université de Poitiers Olivier Bouba-Olga. Contrairement à Laurent Davezies, Philippe Askenazy, Philippe Martin et Thierry Pech, qui considèrent que le fait métropolitain est celui de 4 ou 5 métropoles, Olivier Bouba-Olga estime que le fait métropolitain doit inclure les 250 premières aires urbaines. Ses analyses ont en effet prouvé que, statistiquement, aucun lien systématique significatif n’existait entre la taille des territoires et le taux de croissance. Il y a des territoires de grande taille qui fonctionnent bien (Toulouse, Nantes, ou encore Lyon, Montpellier et Bordeaux). Il y a également des territoires de grande taille qui fonctionnent moins bien (Lille, Strasbourg, Rouen, Saint-Étienne, Nice). Enfin, il y a des territoires hors métropole qui fonctionnent très bien : parmi les 20 aires urbaines les plus dynamiques se trouvent une majorité de villes moyennes, telles que Figeac, Vitré ou Issoire.
Stéphane Ducatez, Directeur en charge des statistiques, du pilotage et de la qualité chez Pôle emploi, a en effet rappelé que dans des villes comme Valenciennes, Maubeuge, Alès ou Perpignan, le taux de chômage était de l’ordre 15% alors même que dans certains territoires ruraux, que l’on peut penser défavorisés, les taux de chômage sont très faibles. Saint-Flour, Vitré ou Les Herbiers ont ainsi des taux de chômage particulièrement bas, de l’ordre de 5%.
Même constat pour Jacques de Chilly, Directeur général adjoint au développement économique et international de la Métropole de Lyon, l’effet métropolitain n’est selon lui pas tant un effet de masse qu’un effet d’excellence. La création de richesse naît de la fertilisation croisée en un même lieu du monde de la recherche, de l’entreprise, de la formation universitaire, qui génère des startups et de l’innovation. Si ce type de concentration se retrouve majoritairement dans les métropoles, il existe aussi des espaces, en région lyonnaise notamment, où ce type de phénomène se produit hors de l’espace métropolitain. Certes, les métropoles comme Lyon concentrent l’essentiel de l’activité, mais ce n’est pas au détriment de villes moyennes dynamiques comme Roanne ou Chambéry.
Pôle emploi constate-t-il aussi cet effet métropolitain ?
Pôle emploi et ses agents, en contact avec les demandeurs d’emploi mais aussi les entreprises sur l’ensemble du territoire, bénéficient d’une position d’observateur privilégié. Les données qu’il collecte lui permettent de dresser des cartographies très fines des tendances et évolutions du marché du travail. S’il constate un effet « métropole » au niveau de la création d’emplois, la réalité est plus complexe selon Stéphane Ducatez. Création d’emploi n’est pas forcément synonyme de diminution du chômage. Chaque territoire a ainsi une dynamique différente. Par exemple, Montpellier est une des villes les plus dynamiques en termes de création d’emploi malgré un taux de chômage de 12%, au même niveau que la région lilloise, pourtant frappée par la désindustrialisation ces dernières années. La dynamique démographique d’Occitanie est en effet différente de celle du Pas-de-Calais et crée de fait des problématiques de chômage différentes. Pour revenir sur les exemples évoqués précédemment, l’histoire de chacun de ces territoires ruraux est différente : à Saint-Flour, six zones d’activité ont été créées. À Vitré, une pépinière d’entreprise et un tissu industriel autour des industries agro-alimentaires se sont développés. Quant aux Herbiers, ils attirent des PME innovantes et les sièges de grands groupes sociaux.
Y a-t-il un modèle lyonnais ?
Si le débat était organisé à Lyon, c’est qu’il s’agit d’une région qui, comme l’a rappelé le Directeur de Pôle emploi Auvergne-Rhône-Alpes Pascal Blain, constitue « la première alternative à la région parisienne pour l’installation des sièges sociaux, qui attire 25% de l’investissement étranger en France […] et qui a 40 bassins d’emplois très caractérisés ». Lyon a beaucoup d’indicateurs au vert sur l’innovation, l’attractivité, le développement de l’emploi et est un des rares territoires en France qui a continué à créer de l’emploi depuis le début de la crise. Pour autant, il y a 7% de chômage à Lyon, c’est plus important que sur l’ensemble des territoires ruraux de la région Rhône Alpes.
L’occasion pour Jacques de Chilly de rappeler que les métropoles ne sont pas des îlots de prospérité : le vrai débat porte davantage selon lui sur les disparités de développement au sein même des métropoles que sur l’opposition entre métropoles et ruralité.
Le géographe Boris Chabanel, consultant au sein du cabinet UTOPIES et membre du réseau de prospective de la Métropole de Lyon, souligne cependant que le développement de l’activité et de l’emploi dans la métropole lyonnaise ne se joue pas seulement au niveau de sa puissance exportatrice ou de son attractivité touristique.
« On part souvent du principe que les richesses qui entrent sur le territoire ruissellent naturellement sur le reste de l’économie, or l’effet multiplicateur local est loin d’être automatique ».
L’évasion de la demande locale des ménages et des entreprises représente chaque année une « fuite de richesses » importante. Comme le montre une étude réalisée pour la Métropole de Lyon, à l’échelle de l’aire urbaine de Lyon les importations provenant du reste de la France ou de l’étranger représentent un montant annuel de l’ordre de 80 milliards d’euros, soit un montant supérieur aux exportations lyonnaises. Ces importations représentent également un gisement de quelques 600 000 emplois. « Ancrer et faire circuler les richesses localement constituent donc un enjeu aussi stratégique que la question de la captation de richesse ». Une partie du développement du territoire se joue ainsi sur sa capacité à mobiliser le tissu économique pour mieux servir le marché local. De ce point de vue, il est intéressant de voir émerger depuis quelques années un « entrepreneuriat de territoire » qui se donne pour mission d’apporter des réponses innovantes aux besoins locaux, à l’instar par exemple de la dynamique « Start-up de territoire ».
Si le critère métropolitain n’est pas déterminant, quel est le niveau d’analyse pertinent ?
La géographie de l’activité économique doit se jouer, et Olivier Bouba-Olga le démontre, au niveau des zones d’emploi. Si l’on prend une carte par zone d’emploi, on observe que ce ne sont pas des dynamiques métropolitaines mais des dynamiques macro-régionales qui sont à l’œuvre. Les territoires qui se portent bien, où on crée de l’emploi, se trouvent en zone littorale ‒ l’ouest de la France et tout le pourtour méditerranéen ‒, mais aussi en région Rhône-Alpes. Le grand quart nord-est en revanche va moins bien. Il y a un effet de frontière aussi. En Lorraine par exemple, la création d’emploi est faible, alors que le taux de chômage n’est pas très élevé car 10% des Lorrains vont travailler au Luxembourg.
Pourquoi dans certaines zones beaucoup d’entreprises n’arrivent pas à recruter alors qu’il y a un taux élevé de chômage ?
La question de l’appariement est au cœur du sujet. Stéphane Ducatez rappelle que les offres d’emploi non pourvues représentent entre 200 000 à 300 000 postes chaque année en France. La situation est différente d’un endroit à l’autre sur le territoire. Les difficultés de recrutement peuvent aller de 20% sur certains territoires (Épernay, Cézanne, Limoux) jusqu’à des bassins d’emploi avec des difficultés de recruter de l’ordre de 60% (Figeac, Lisieux). Les explications sont multiples et ne se limitent pas, une fois encore, à l’opposition métropole / hors métropoles. À Angers et Bordeaux, il y a par exemple, d’importants problèmes de recrutement. Olivier Bouba-Olga estime qu’il y a trois explications à cela :
- Les difficultés liées à la mobilité des personnes d’une part, et notamment des familles. Le télétravail apporte certes une partie de la réponse, mais le phénomène reste encore mineur malgré l’extension du haut débit à quasiment tout le territoire.
- La problématique de la formation d’autre part. À ce sujet, le modèle français, où l’on forme des personnes à qui, une fois qu’elles sont formées, on essaie de trouver un travail, s’oppose au modèle allemand, où l’on recrute, puis l’on forme en interne au sein de l’entreprise.
- La question de l’accompagnement enfin, que de nombreuses initiatives locales innovantes souvent coordonnées par Pôle emploi tentent de pallier, telles que des rallyes de quelques jours au cours desquels des équipes de chômeurs vont dans les entreprises recenser les besoins éventuels ou, comme mentionné par Pascal Blain, « Une semaine pour un emploi » organisé en Auvergne-Rhône-Alpes qui a permis de mettre à disposition des demandeurs d’emploi 18 900 offres disponibles auprès de 2 500 employeurs à travers 115 événements dans la région.
À ces causes, Pascal Blain a ajouté celle du coût du logement et des transports. La reprise d’un emploi pour les demandeurs d’emploi n’est pas toujours synonyme de gain en termes de salaire dans ces conditions.
Quelle réponse apporter ? Quelles politiques des territoires mener ?
Selon Olivier Bouba-Olga, il faut en premier lieu sortir des modèles figés. Dans les années 90 par exemple, les modèles étaient les districts industriels italiens et les systèmes productifs locaux. Puis, au début des années 2 000, le modèle est devenu la Silicon Valley et le schéma des clusters. Depuis 10 ans, c’est celui des métropoles. Les territoires ne sont pas, selon lui, des petits systèmes autonomes et encore moins des entités en concurrence les unes entre les autres. Olivier Bouba-Olga invite à revenir à une véritable logique d’aménagement du territoire. Selon lui, il est nécessaire de sortir des logiques politiques « prêt-à-porter » et d’aller davantage sur du sur-mesure. Il faut articuler pour cela politique de développement économique, politique d’emploi, politiques logement et transport. Il faut de la transversalité dans la réflexion. La force d’une économie réside selon lui dans la capacité à bien diviser le travail, selon des processus fragmentés, et ainsi à faire travailler des entreprises entre elles, à les spécialiser, à ne pas être les mettre en concurrence mais à les différencier.
Pascal Blain partage ce diagnostic et montre que, quand les collectivités travaillent dans le même sens, cela fonctionne. Cela explique aussi le succès de Saint-Flour ou de la Drôme. Dans ces écosystèmes, il y a une sorte d’union sacrée entre les politiques menée autour de l’emploi et l’attractivité des territoires. Ainsi, selon Jacques de Chilly, une action favorisant les appariements fut la fusion du conseil départemental et de la communauté urbaine en 2015. Elle a permis de mettre une partie des budgets alloués au développement économique au bénéfice de la politique d’insertion et de soutenir notamment l’approche par compétences.