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Marché du travail

« Le rôle de Pôle emploi est aussi de vendre notre territoire à l’extérieur »

Stéphane Colliat, le directeur de l’agence Pôle emploi de Roanne, fait feu de tout bois à la fois pour attirer les personnes hautement qualifiées de l’extérieur comme pour former des roannais peu préparés aux nouveaux métiers. Après des années de crises lourdes, Roanne est en plein boom économique et il faut être créatif pour attirer ou former les bons profils.

Le 13 juillet 2018, en tant que directeur de l’agence Pôle emploi de Roanne, et alors que nous n’aviez pas les compétences et profils nécessaires sur l’agglomération, vous êtes allé à Lyon avec le maire et des chefs d’entreprise pour lancer une campagne de communication destinée à trouver les candidats pour les 2000 emplois qui allaient se créer à Roanne d’ici fin 2020. C’était plutôt original. Roanne est-elle à ce point dépendante des gens de l’extérieur ?

Après une crise économique violente depuis 2008, Roanne connaît, depuis 2016, une forte reprise avec de beaux projets et surtout des projets avec des recrutements en gros volume. Nous avons, dans un premier temps, travaillé avec Roanne Agglomération et trouvé des solutions sur les emplois les moins qualifiés. Mais nous connaissons une difficulté sur le recrutement des plus qualifiés, des cadres en particulier : ils ne représentent que 2% de la demande d’emploi du Roannais contre 5 à 6% en Auvergne Rhône-Alpes. Il faut donc aller les chercher à l’extérieur, communiquer sur ces postes à pourvoir qui sont une évolution très, très récente sur un Roannais, qui n’a plus depuis longtemps une image de territoire très dynamique au niveau de l’emploi et qui est perçu comme un territoire principalement industriel. Or, nos offres aujourd’hui concernent l’industrie, l’agro-alimentaire, le commerce et l’hôtellerie-restauration.

Comment peut-on attirer des gens qualifiés sur des postes qualifiés dans une ville moyenne longtemps en crise et beaucoup moins attractive que Lyon, à 80 kilomètres ? Comment fait-on quitter une métropole attractive à des cadres qualifiés ?

Pour attirer ces profils, il faut d’abord changer l’image du Roannais en montrant qu’il est devenu dynamique. Cela a été la démarche faite à Lyon. Ensuite, il faut travailler sur les bons arguments et celui de la qualité de vie est très important. Il est très simple de se loger à Roanne, de se déplacer à Roanne, d’avoir des activités en famille. Il faut donc se doter d’une structure qui prenne en charge les personnes qui veulent venir sur le territoire. On a ainsi construit un kit de bienvenue…

C’est très original de la part de Pôle emploi de faire du marketing territorial…

C’est effectivement assez nouveau mais c’est une démarche partenariale. Nous travaillons sur le développement du territoire et nous cherchons des solutions avec les entreprises. Il est donc normal qu’on mette en avant les arguments du territoire pour faire venir les compétences dont les entreprises ont besoin ici. C’est d’autant plus important pour le développement des entreprises que, pour développer des équipes sur les postes à faible qualification, elles ont besoin d’avoir les encadrants en face avec des compétences pour manager ces équipes-là. Donc c’est un enjeu très fort pour Pôle emploi, pour les demandeurs d’emploi comme les entreprises.

Pourquoi ces entreprises qui créent aujourd’hui des emplois hautement qualifiés à Roanne sont-elles venues s’implanter alors qu’elles savaient que peu de personnes pourraient répondre à leurs offres ?

Parce que le cœur de leur métier, c’est quand même la production. Et il y a des savoir-faire en Roannais. Il y a des connaissances et il y a des capacités en termes de production, en termes d’emplois de premier niveau qui sont très importantes. Donc sur leur cœur de métier, elles ont raison de venir s’implanter. En revanche pour accompagner le développement, ils ont besoin d’encadrants, de techniciens hautement qualifiés. Le changement d’image du Roannais est un travail de longue haleine mais c’est en train de changer. Même l’image des roannais sur leur propre territoire est en train de changer. Ce n’est plus un territoire en difficulté économique, c’est un territoire dynamique, il faut aussi qu’ils en soient persuadés.

Le profil idéal, le trentenaire avec un peu d’expérience et fortement diplômé avec conjoint et enfants, comment le faire déménager de Lyon, de Clermont ou de Saint-Étienne ?

La première difficulté, c’est l’emploi du conjoint. Nous avons deux expérimentations pour sécuriser l’emploi du conjoint. La première est un accompagnement renforcé du conjoint pour, dès qu’il s’installe sur le territoire, qu’il puisse travailler sur le réseau. Ils sont déracinés sans aucun réseau local. Pôle emploi les accompagne sur la constitution du réseau pour que le conjoint puisse retrouver plus facilement un emploi. La deuxième : pour rassurer la personne qui va venir sur le territoire, ce travail de constitution de réseau se mène avant même l’arrivée sur le territoire. Nous mettons donc en place nos prestations avec un partenaire qui commence l’accompagnement de recherche d’emploi avant l’installation de la personne sur le territoire. Cela dure trois mois. Pôle emploi s’occupe de l’emploi du conjoint s’il est demandeur et c’est vraiment dans nos prérogatives.

Pour les gros employeurs du Roannais comme Nexter, la SFAM, ID Logistics bientôt…, la solution d’aller chercher les candidats à l’extérieur est-elle vraiment satisfaisante sur le long terme ?

Sur le long terme le travail de l’image de Roanne est essentiel. Les hautement qualifiés doivent avoir, dès la sortie de leur école, identifié le Roannais comme une source d’emplois intéressants ou existent des opportunités pour les cadres et de l’évolution professionnelle. Ces entreprises en développement et qui ont des gros recrutements ont tout intérêt à travailler avec nous, pour aller identifier dans les sorties d’écoles les profils dont ils ont besoin. La démarche à venir sera de travailler auprès des grandes écoles, celles qui forment des cadres et des techniciens hautement qualifiés pour pouvoir faire connaître les entreprises du territoire.

Et pour leurs emplois moins qualifiés ?

Avec de gros recruteurs comme Nexter ou la SFAM, on est d’abord sur des postes moyennement qualifiés. On peut travailler au niveau du sourcing, et on travaille beaucoup en s’appuyant sur du recrutement local en adossant cela, bien sûr, sur le plan d’investissement sur les compétences, sur de la formation. Une entreprise comme la SFAM a pu mener des actions d’information collective chez nous, peut utiliser notre méthode de recrutement par simulation, avoir des stands au sein de nos agences et faire connaître ses besoins de recrutement.

Lorsque l’on est sur un recrutement de volume, il y a vraiment un plan d’action à établir avec l’entreprise. Il faut qu’il y ait une relation très privilégiée avec l’entreprise parce que sinon on risque très vite d’épuiser le sourcing, c’est à dire les personnes qui identifient ce métier comme une piste pour eux. On arrive à capter ces personnes-là. Sauf qu’une fois qu’on les a captés, il faut aller chercher des personnes qui n’ont pas identifié ce métier-là comme une piste potentielle et leur faire découvrir ces métiers et les évolutions possibles dans ces métiers-là.

Roanne n’est-elle pas comme beaucoup de villes moyennes qui ont connu des crises graves et lourdes avec des licenciements massifs, où la formation en a souffert et la population n’est pas préparée aux nouveaux métiers ? Et ce, quel que soit le niveau de qualification ?

Notre territoire a effectivement connu des licenciements économiques très lourds dans des secteurs d’activité historiques comme le textile ou l’armement. De nouveaux métiers apparaissent et il faut identifier des personnes qui peuvent les prendre. C’est pour cela que nous avons très fortement développé le recrutement par simulation. Cela nous permet de ne pas travailler du tout sur le CV mais d’évaluer les capacités de la personne puis de pouvoir envisager ensuite le métier potentiel qui recrute et vers lequel elle peut aller. C’est l’exemple des techniciens help desk ou des programmateurs, où il y a une forte demande aujourd’hui à Roanne. Bien sûr cela s’accompagne d’une démarche de formation et surtout d’une démarche partenariale qui nous permet de tisser ce tissu d’organismes de formation qui soit en lien avec les besoins de notre territoire.

Avec l’autoroute qui la relie depuis peu à Lyon, Roanne n’a-t-elle pas vocation à devenir l’hinterland d’une métropole qui réussit ?

Effectivement, le développement du réseau routier a probablement eu un impact sur le développement économique du Roannais et sur le déplacement des demandeurs d’emploi potentiels. Mais il y a aujourd’hui un nouveau frein qui est le coût de la mobilité voiture, que ce soit en frais d’autoroute ou en frais de carburant. C’est peut-être aujourd’hui un frein et c’est pour cela que l’on a plutôt des personnes qui viennent s’installer sur le Roannais et très peu de « navetteurs » entre Roanne et Lyon. Si l’on doit venir cinq jours par semaine, au bout d’un moment la question de la mobilité et de la famille se pose, et la navette n’a guère de sens. C’est pour cela qu’il faut faciliter l’emploi du conjoint…

Propos recueillis par Jean Pierre Gonguet

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