Secteurs & Entreprises
L’égalité hommes-femmes dans les transports et la logistique
Historiquement très masculin, le secteur professionnel des transports et de la logistique connaît encore une part assez faible de femmes. Mais au-delà de ce lieu commun, la réalité n'est pas uniforme et de nombreuses actions sont mises en place. Avec deux mots d'ordre, l'égalité et la mixité !
Publié le 01/09/2021 • Mis à jour le 24/03/2022
L’AFT impulse une dynamique
L’Association pour le développement de la formation professionnelle Transport et Logistique mène différentes missions, parmi lesquelles figure celle d’accompagner les entreprises sur les questions sociétales. Cela comprend notamment la prévention des addictions, la lutte contre le handicap, la santé et la sécurité au travail, mais aussi la promotion de la mixité et de l’égalité dans l’accès à l’emploi.
Dans le domaine de l’égalité hommes-femmes, l’AFT a agi en créant en 2017 le site internet « Itinéraire égalité », dans le cadre d’un projet soutenu par le FSE (Fonds social européen) et la CPNE (Commission paritaire nationale emploi et formation professionnelle).
« Nous sommes partis du constat que les femmes représentent à peine 20% des salariés dans notre branche conventionnelle, et que ce chiffre est relativement stable depuis dix ans. Les métiers ont progressé sur le plan technologique, il y a des moyens d'aide à la conduite, on n'a plus besoin d'avoir des gros bras pour conduire un véhicule et il y a des chariots élévateurs. Et pourtant, depuis dix ans ces chiffres stagnent. »
Thomas Huguen (Directeur du Département de l'Action Professionnelle à l’AFT)
On observe néanmoins des disparités dans ce domaine entre les trois familles du transport, puisque le transport sanitaire attire davantage les femmes – à hauteur de 40% des effectifs – au même titre que celui de voyageurs, où il y a 30% de femmes. A l’autre extrémité du spectre se trouve le transport de marchandises, où la proportion de femmes tombe à 10%, et même à 2%, pour les métiers de la conduite dans ce domaine.
Selon les professionnels de l’AFT, la faible proportion de femmes s’expliquerait davantage par des stéréotypes de genre tenaces, plutôt que par des facteurs de pénibilité auxquels les femmes seraient plus sensibles. Aussi, croire que la difficulté physique du métier serait de nature à défavoriser les femmes, cela apparaît comme plus que jamais incongru, renvoyant a des a priori que Thomas Huguen déconstruit en un exemple : « quand on est une femme, transporter un homme de 130 kilos depuis le deuxième étage, ce n’est pas plus physique que d’utiliser un transpalette électrique pour déplacer des marchandises. » Si, du fait de l’inégale répartition des tâches domestiques qui perdure, les femmes sont souvent plus exposées à pâtir des difficultés de conciliation entre vie privée et vie professionnelle, l’évolution de l’organisation de travail ne présente plus ce genre de risque. Thomas Huguen explique : « il y a trente ans, vous partiez toute la semaine sur la route où vous faisiez de l’international. Mais aujourd’hui, les transports se font tous en relais. Il y a des réseaux et tout le monde rentre chez soi tous les jours ».
Constatant le poids durable des représentations de ces métiers, les représentants de l’AFT sont particulièrement soucieux de « démystifier » ces métiers et de mieux les valoriser auprès des services d’accompagnement vers l’emploi que sont les missions locales, les agences de Pôle emploi ou bien même les conseillers d’orientation dans l’enseignement secondaire.
Des clichés à la peau dure
Aujourd’hui, les principaux freins à une plus grande place des femmes dans le secteur viendraient davantage de la société que des entreprises, estime Solène Rosiau, chargée de projets au sein du département Etudes et Projets de l’AFT. Elle s’est chargée de la mise à jour du site « Itinéraire égalité », développé initialement en 2017, avec le soutien du Fonds social européen. Elle explique : « Ce qui est constaté, ce ne sont pas forcément des freins au sein des entreprises, mais surtout des images qu’on peut avoir de l’extérieur avec des stéréotypes. On va se dire qu’une femme n’est pas faite pour conduire un camion parce qu’on a l’idée un peu cliché du routier. C’est là-dessus qu’il faut travailler, parce qu’au niveau des entreprises il y a déjà plein d’actions qui sont faites, qui favorisent l’intégration des femmes mais aussi des conditions de travail des hommes, et cela permet une meilleure mixité des métiers. » La chargée de projet évoque neuf leviers dont les entreprises disposent pour agir sur la mixité et l’égalité professionnelle : les conditions de travail, l’attractivité, l’embauche, la formation, la promotion, la rémunération, la parentalité, la santé et la sécurité au travail, et la valorisation. Autant de thèmes qui sont déclinés à travers de nombreuses fiches actions, faites pour aider les entreprises à mener des actions concrètes sur ce thème.
Sur le plan de l’ergonomie, pour faciliter la manutention lourde qui peut être un problème pour certaines femmes, les entreprises peuvent investir dans des dispositifs qui vont bénéficier aux femmes, mais aussi aux hommes. Pour Solène Rosiau, cela permet « d’avoir une égalité de traitement, en évitant la discrimination positive. » Elle évoque un autre exemple de frein à l’égalité hommes-femmes, celui d’un phénomène d’auto-censure de certaines femmes, par exemple pour accéder à une formation ou postuler en interne pour un emploi plus qualifié. Des logiques qui peuvent être combattues en « encourageant les ressources humaines à sensibiliser les femmes sur leur place, et sur le fait qu’elles ont tout à fait le droit de postuler sur des postes plus qualifiés. »
Alors qu’elles constituent 19% de l’ensemble des salariés du secteur, elles représentent 30% des cadres. Un différentiel qui s’explique en partie par la très faible part qu’elles occupent parmi les ouvriers, de l’ordre de 12%.
Un chiffre à contrebalancer par leur sur-représentation parmi les employés (61%). En effet, alors que les femmes ne représentent que 3% des conductrices, elles sont davantage présentes dans les fonctions support, comme la gestion, la comptabilité et les services RH.
Il s’agit donc de mener un travail de déconstruction des stéréotypes portant sur les métiers.
On peut aussi se poser la question des conditions d’intégration dans le collectif de travail de conducteurs, très majoritairement composés d’hommes. Mais les a priori ne sont pas toujours du côté de l’entreprise, explique Solène Rosiau : « J’ai interviewé des femmes chefs d’entreprise et des femmes routières, et elles disaient que là où il y a le plus d’a priori, c’est plutôt à l’extérieur de l’entreprise. Par exemple, quand une femme est au volant de son camion, quand elle rencontre des routiers qui ne la connaissent pas, ils vont peut-être remettre plus en question sa capacité à faire, ils vont avoir plus tendance à l’observer, ou elle va devoir prouver d’avantage ses connaissances qu’un homme. »
Différents axes de sensibilisation et des parcours de formation dédiés
Afin de favoriser les vocations chez les femmes et de lutter contre les stéréotypes de genre, le site « Itinéraire égalité » comprend aussi le récit de parcours inspirants, tel celui d’Hughette. Devenue routière dans les années 70 avant de créer sa propre entreprise, elle témoigne notamment du fait que l’usage du matériel soit facilité aujourd’hui. Tout en rappelant que les hommes pouvaient avoir autant de difficultés avec les anciens véhicules, une manière de rappeler combien les préjugés sont anciens. Le site propose des ressources légales et des fiches, par exemple sur l’accueil en entreprise des femmes, ou encore un outil méthodologique pour calculer l’index d’égalité hommes femmes. Enfin, des quiz permettent de tester ses connaissances sur l’égalité hommes-femmes dans le secteur, mais aussi d’évaluer le degré d’implication de son entreprise sur le sujet. De quoi fournir une aide précieuse, quand on cherche à définir une feuille de route sur ce sujet, au sein de son entreprise.
Le 4 juin 2020, les partenaires sociaux de la branche des transports routiers et activités auxiliaires ont signé un accord pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. En Nouvelle-Aquitaine, au mois de septembre, un nouveau titre professionnel devrait voir le jour : il sera intitulé « La route au féminin ». Titre professionnel de conducteur routier de marchandises sur véhicule porteur, il devrait être particulièrement orienté vers les femmes. Autre initiative, celle d’un travail mené par l’AFT avec un lycée en Ile-de-France, un bac pro « conduites routières », sur le thème de la mixité. Les élèves se sont inspirés d’une émission diffusée récemment à la télé, pour créer des affiches de sensibilisation sur ce thème. Enfin, on peut évoquer la création de « R.A.S. Intérim », à Toulouse. Avec le concours de Pôle emploi et d’AKTO réseau FAF-TT, cette agence organise des sessions de formations de conductrices 100% féminines.
Autre exemple d’action, au niveau régional, la publication en Franche-Comté d’un guide de bonnes pratiques sur la mixité et l’égalité professionnelle, pour « accompagner les publics en formation transport et logistique ». Autant d’outils qui, selon Thomas Huguen, sont les « petits pas » d’ « un travail de longue haleine, qui a été entamé il y a quinze ans. On y arrive ». Solène Rosiau note quant à elle un progrès dans les transports voyageurs, où il y a une trentaine d’années, les femmes étaient mal intégrées, et où il y a eu une évolution « positive ». Une manière de se rappeler que si certaines évolutions sont parfois lentes, elles sont loin d’être impossibles !
E.A.