Article

Marché du travail

Les économistes ont-ils pris la réelle mesure de la crise ?

Le débat économique n’avance pas et peu d’économistes ont pris la juste mesure de la crise. C’est la thèse respectivement des Economistes atterrés et de James Galbraith dans leurs derniers livres qui prônent une sortie par l’écologie et les politiques sociales. Et l’Organisation Internationale du Travail ne semble par leur donner tort.

« Les mauvaises théories ont chassé les bonnes ». L’économiste Benjamin Coriat, l’un des fondateurs des Economistes atterrés qui publient leur nouveau manifeste (1), est un peu désabusé si l’on en croit le long entretien qu’il a donné au Monde (2). Et il prend un exemple : «les théories de la croissance endogène, qui insistaient sur la nécessité d’investir massivement dans l’éducation, la recherche, et dans toutes les externalités positives ont pratiquement disparu du débat, au bénéfice des théories qui préconisent l’austérité, les coupures généralisées et l’Etat minimal ».  L’économiste estime que la majorité des théories économiques qui inspirent les politiques des gouvernements sont celles « de l’avant crise » : « il est frappant de constater qu’après avoir fait profil bas – et pour cause -, les tenants de la déréglementation et de l’efficience du marché ont sérieusement relevé la tête…. Les keynésiens, qui ont connu un regain lorsque le consensus s’est fait sur la nécessité d’injecter en masse des liquidités dans l’économie pour empêcher son effondrement, sont de nouveau mis en accusation. Comme si les dérapages des déficits et de la dette leur incombaient alors qu’il ne s’agissait que de réparer les frasques de la finance ».

Le nouveau manifeste des économistes atterrés enfonce donc le clou sur les vieilles lunes de la théorie économique mais développe surtout une série de propositions définissant un grand projet sur la transition écologique  pour relancer la croissance et l’emploi.  C’est vif et parfois brutal : « Les décideurs n’ont rien appris, ou voulu apprendre, de la crise, écrivent-ils. Les économistes bien en cour se montrent d’autant plus arrogants que leurs préceptes ont été invalidés… Les commentateurs continuent à égrener les cours de la Bourse et les avis des agences de notation, comme si l’évolution des économies se lisait dans les jeux de la finance spéculative…. Le développement soutenable, l’emploi, le tissu économique local, les investissements productifs ne sont pas pris en compte. Les métiers les mieux rémunérés demeurent ceux de l’industrie financière, le conseil en délocalisation, en montages financiers, en optimisation fiscale »

L’économiste américain James K. Galbraith, le fils de John Kenneth Galbraith, n’appartient pas au mouvement des Economistes atterrés, mais il n’en pas forcément. Dans La Grande Crise (3) il passe en revue de manière très critique les ratages théoriques des économistes sur la crise, leur incapacité à la prévoir et surtout leur plus grande incapacité à en comprendre la nature réelle. S’il rejette lui aussi les politiques d’austérité, il prône la sortie de crise avec un très faible niveau de croissance et propose les moyens de la soutenir. Dans un entretien à Libération (4) il demande que l’on cesse « de séparer la question de la croissance économique des questions sociales, c’est-à-dire l’éducation, la santé – tout ce qui est essentiel à une société moderne… Malgré la crise, Roosevelt a créé des dispositifs de protection sociale forts et stables comme la Social Security et la garantie des dépôts. Le New Deal a accompagné la naissance de la société moderne. Sacrifier les fondations de nos sociétés sur l’autel de la croissance est le danger qui nous guette. La bonne réponse consiste à fortifier les liens sociaux, les institutions internes car la protection sociale est un antidote au risque économique. Si l’on croit pouvoir être en compétition avec la Chine, on est dans l’illusion la plus complète ». Défenseur de l’Etat providence ? Oui. Mais parce que, explique-t-il « une société doit construire à partir de ses avantages. Aux Etats-Unis, on peut critiquer de nombreux aspects de notre modèle économique, mais nous avons des universités, publiques et privées, très fortes. Personne n’accepterait de les fragiliser pour augmenter la compétitivité de l’économie américaine. C’est impensable. Le système social français, comme celui des pays d’Europe du Nord, est un avantage réel ». Et il est encore plus précis dans un entretien à L’Observateur : « les dépenses dans la protection sociale, dans l’assurance chômage, dans les aides alimentaires sont aussi des investissements dans la sécurité. S’il y a un domaine pour lequel on peut faire des exemptions dans une règle budgétaire qui n’a jamais eu force de loi (puisque basée sur une interprétation discutable du Traité de Maastricht) c’est bien sur ce point, afin de protéger les dépenses sociales et la situation économique de toute l’Europe » (5) Le livre de James Galbraith est excellent et balaie l’histoire économique du XXème et XXIème siècle de manière limpide et critique.

Lire également

Polémique : la manière dont le cabinet Deloitte a calculé (à la demande de son client Facebook), l’impact de la société sur l’emploi. Résultat : l’impact de la société serait tel que 78 000 emplois auraient été créés à cause d’elle en France en 2014, 84 000 en Allemagne, 154 000 en Grande Bretagne ou 783 000 aux Etats Unis (6). Selon Deloitte le réseau social aurait eu un impact économique de 227 milliards de dollars en 2014, et sur 4,5 millions d’emplois. L’étude est en ligne sur le site de Deloitte UK, et elle est à prendre avec des pincettes puisque le cabinet parle aussi bien d’emplois créés directs mais aussi indirects grâce à la diffusion des technologies du réseau et d’emplois maintenus

Pas polémique : le rapport de l’Organisation du Travail « Perspectives pour l’emploi et le social dans le monde 2015 ». Les perspectives sont franchement mauvaises puisque le rapport montre que les perspectives mondiales de l’emploi vont se détériorer dans les cinq prochaines années. Plus de 201 millions de personnes dans le monde étaient au chômage en 2014, soit plus de 31 millions de plus qu’avant le début de la crise mondiale. Et le chômage devrait s’accroître de quelque 3 millions de personnes dans le monde en 2015 et de 8 millions supplémentaires dans les quatre années suivantes. Le déficit d’emplois dans le monde, qui fait état du nombre d’emplois perdus depuis le début de la crise, se chiffre actuellement à 61 millions de personnes. Si l’on prend en compte ceux qui vont arriver sur le marché du travail ces cinq prochaines années, ce sont 280 millions d’emplois supplémentaires qu’il importe de créer d’ici à 2019 si l’on veut combler ce déficit ». (7)

 

1 Le nouveau Manifeste des économistes atterrés. 15 chantiers pour une autre économie. Les liens qui libèrent. 160 pages 10.00 € (5.99 € en version numérique)

2 http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/01/22/la-transition-ecologique-c-est-l-economie-de-l-avenir_4561714_3234.html

3 La Grande Crise de James K Galbraith. Le Seuil. 306 pages. 22€

4 http://www.liberation.fr/economie/2015/01/23/le-danger-est-de-sacrifier-nos-societes-modernes-sur-l-autel-de-la-croissance_1187278

5 http://tempsreel.nouvelobs.com/attentats-charlie-hebdo-et-maintenant/20150115.OBS0056/galbraith-attention-a-proteger-les-traditions-republicaines.html

6 http://www.lesechos.fr/journal20150120/lec2_high_tech_et_medias/0204092205698-limpact-de-facebook-sur-leconomie-francaise-aurait-triple-en-trois-ans-1084864.php

7 http://ilo.org/wcmsp5/groups/public/—dgreports/—dcomm/—publ/documents/publication/wcms_337071.pdf

Mis à jour le 27 juin 2022 • Publié le 27 juin 2022

Mis à jour le 31 mars 2022 • Publié le 31 mars 2022