Marché du travail
Paris et le désert français, le retour ?
Le sociologue et géographe Michael Storper met en évidence la spécificité du territoire français où les métropoles de province sont prises en tenaille entre Paris et ses emplois qualifiés d’une part et la ruralité et ses emplois à bas coûts d’autre part. Elles restent, plus que jamais, des territoires à revenus moyens, piégés dans leur développement économique.
Publié le 13/11/2017 • Mis à jour le 15/03/2018
« Dans les pays avancés ainsi qu’émergents, l’économie contemporaine favorise, de manière accablante, les métropoles et surtout les grandes métropoles » : le sociologue et géographe Michael Storper a, au mois de juillet, un peu secoué les Directeurs généraux des Communautés de France réunis en université d’été. Son intervention reprenait de manière un peu polémique le titre de l’ouvrage de référence du géographe Jean Michel Gravier de 1947. La nouvelle économie booste, dans le monde, les métropoles en termes de création d’emplois mais aussi et surtout de revenus et de capitalisation boursière. Haute technologie et innovation scientifique ou biologique (pharma, santé, etc.), finance, médias, gestion et management de la mondialisation (marketing, services professionnels, communications, etc.) : toutes ces activités localisent leurs fonctions avancées dans les métropoles. Ceci conduit à une concentration circulaire et cumulative du travail qualifié dans les métropoles.
Les métropoles moyennes au milieu de la chaîne de valeur
« Dans le même temps, explique-t-il, les régions et villes de province ne cessent de subir des chocs négatifs », et les métropoles moyennes de province concentrent les éléments « entre deux eaux » de la chaîne de valeur : entre les activités les plus qualifiées (Île-de-France uniquement) et la production fordiste routinière ou les services logistiques (petites villes ou zones rurales). Situées au milieu des chaînes de valeur, les tâches ou fonctions assignées aux métropoles de province se caractérisent – à quelques exceptions près – par des niveaux de qualification et de salaire « moyens ». Le résultat, pour Michael Storper, est une division géographique du travail qui donne lieu à une divergence de productivité et surtout de revenu (marchand, avant redistribution) par habitant entre les grandes métropoles et le reste, divergences qui ne cessent de se creuser. Le phénomène est identique partout puisqu’aux États-Unis, la productivité moyenne par habitant des grandes métropoles de plus de 2 millions d’habitants atteint 135 % de la moyenne nationale et qu’en France, la productivité des métropoles représente 115 % de la moyenne nationale.
Michael Storper a une analyse un peu différente de beaucoup de géographes puisque selon lui les métropoles françaises, en dehors de Paris, « manifestent le syndrome qu’on appelle en économie le « middle income trap » (le piège de stagnation des territoires à revenu moyen) ». Elles seraient en fait prises en tenaille entre Paris (très haute productivité, grande taille, revenu élevé, attraction des personnes qualifiées, concentration d’activités novatrices) et les territoires qui se trouvent en bas de l’échelle des revenus par habitant et attirent des investissements en raison des faibles coûts des « inputs » (terrain, main-d’œuvre), ce qui les rend attractifs, mais uniquement pour les fonctions routinières de la chaîne de valeur.
Pour Michael Storper, la France est même un cas à part. Aux États-Unis, le club des régions dynamiques est plus grand et il y a une certaine turbulence du système urbain américain, avec des villes qui gravissent des marches, d’autres qui en descendent. Des métropoles comme Austin, Seattle, Denver, Atlanta, Orlando, Houston, Minneapolis ont ainsi rejoint le club des métropoles à hauts revenus. Idem en Allemagne avec Stuttgart, Düsseldorf, Frankfort, Munich et Karlsruhe ou en Grande Bretagne avec Cambridge, Aberdeen, Reading, Edinburgh, Bristol, et Derby. « En France, la situation est très stable, pas turbulente : Paris en haut, les autres à leurs places depuis longtemps. C’est l’égalité en dehors de Paris et l’on n’enregistre pas de catastrophes comme les cas de Baltimore, St Louis ou Youngstown aux États-Unis, mais pas un grand dynamisme non plus… la géographie économique contemporaine de la France repose principalement sur une répartition : le management et l’innovation à Paris, l’administration et la production « routinière» en métropoles de province ».
La géographie économique, de Jacques-François Thisse à Laurent Davezies en passant par Michael Storper et Philippe Estèbe, prône quand même l’idée selon laquelle la France devrait tout faire pour encourager davantage le dynamisme de l’Île-de-France, cette dernière étant censée être la seule à pouvoir faire face à la concurrence de Londres, New York, Hong Kong, Shanghai, etc… Et pour Storper, « les territoires du middle-income trap, qu’ils soient français, américains, britanniques, allemands, etc., devront faire l’objet d’une refonte rigoureuse de nos stratégies de développement territorial… L’alternative moderne et contemporaine est de repenser nos stratégies ».